Au-delà de l'Effort, Vers l'Équité Sociale


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Dans les sociétés modernes, sur le plan de réalisation de soi, on distingue deux catégories d’hommes et de femmes : ceux qui réussissent et ceux qui échouent. Ces deux concepts subjectifs peuvent être interprétés de différentes manières selon les perspectives individuelles, mais la plupart du temps, on les mesure par l’observation du train de vie d’un individu, son rang social, sa richesse ou sa pauvreté, son influence etc. Ce qu’on ignore souvent, et ne cherche pas à savoir ni à comprendre, c’est l’histoire et le jeu de la vie se déroulant derrières ces manifestations, qui sont le résultat d’une série de causes. 

Peut-on comprendre la causalité de la réussite comme l’expression ou le fruit des efforts consentis et de l’échec comme l’absence d’effort de la part d’un individu ? L’effort est-il vraiment le seul levier qui détermine le succès individuel ou collectif ? Bien que l'effort personnel soit un élément important, il est essentiel d'appréhender la complexité des facteurs qui contribuent à la réussite ou à l'échec dans la vie individuelle et collective.

Selon le dictionnaire Larousse, l’effort se définit comme la mobilisation volontaire de forces physiques, intellectuelles, morales en vue de résister ou pour vaincre une résistance. En ajoutant le terme « individuel », on met en avant le caractère personnel de l’investissement actif d’une personne dans la réalisation de ses aspirations, à l’accomplissement d’une tâche ou à la poursuite de ses objectifs. Fort de cette définition, voilà pourquoi l’on pense que la réussite est fonction de l’effort personnel.

L'effort individuel est indéniablement un facteur crucial dans la réalisation de soi, mais d'autres éléments entrent également en jeu. Des circonstances socio-économiques, des opportunités, des ressources, l'accès à l'éducation, et parfois des facteurs indépendants de la volonté individuelle peuvent tous influencer le parcours d'une personne. Il est donc nécessaire d'adopter une perspective plus nuancée lorsqu'on évalue le succès et l'échec. Reconnaître et comprendre l'histoire personnelle et les circonstances qui entourent chaque individu peut contribuer à une vision plus complète de ces concepts. 

Pour illustrer ces concepts, permettez-moi de partager ici quelques exemples dont j’ai été témoin :

- En 2011, un ami a été recruté dans une institution en Haïti au grade d'entrée malgré son expérience professionnelle et son niveau Bacc+5. Cela dit, il a passé six ans sans obtenir de promotion malgré ses performances, son intelligence et ses efforts. Cependant, d'autres personnes ayant intégré l’institution en même temps que lui et même après lui n'ayant fait aucun effort académique, sans compétences pour les postes occupés et sans expérience ont été recrutées à un grade beaucoup plus élevé que lui avec le double ou le triple de son salaire.

- En 2020, un collègue ayant participé à un concours qui avait attiré la participation de milliers de personnes a été honoré d'être l'un des quatre candidats présélectionnés pour une bourse d'études à l'étranger, une des plus prestigieuses au monde parmi tant d'autres. Ce qui, en principe, devrait faire honneur à cette institution, mais ce n'était pas le cas pour lui. Conformément au règlement interne de l'institution, les critères permettant à un employé de demander un congé d'études rémunéré (c'est-à-dire de percevoir son salaire) sont les suivants : l'employé doit avoir servi l'institution pendant au moins cinq (5) ans, et les études doivent être en rapport avec la vocation de l'institution. Il remplissait parfaitement ces critères, mais sa demande a été inexplicablement refusée. Curieusement, pendant la même période, une autre employée, en service depuis trois (3) ans seulement, sollicitait également un congé d'études. Contre toute logique, les principes du règlement interne ont été violés pour lui accorder un congé d'études rémunéré, accompagné d'autres avantages tels que le soutien financier et une promotion.

- Lors d'une session de recrutement opposant deux candidats aux profils très différents. D'un côté, le premier candidat, dépourvu des qualifications et compétences nécessaires pour le poste, a mis en avant ses accointances politiques et ses relations avec quelques autorités du gouvernement. De l'autre côté, le second, expérimenté et qualifié, a basé sa candidature sur son diplôme universitaire et ses compétences exceptionnelles. Étonnamment, en dépit de la nette supériorité des compétences du second candidat, la personne responsable de l'entretien a choisi le premier, semblant être influencée par des considérations autres que les critères de compétences.

Analysons ces exemples, mettant en lumière les inégalités dans la société et soulignant que des facteurs autres que l'effort individuel, tels que des décisions organisationnelles arbitraires ou des préjugés, peuvent influencer le parcours d'une personne. Ces illustrations soulignent la nécessité d'adopter une perspective nuancée lors de l'évaluation du succès et de l'échec, en reconnaissant les multiples variables qui façonnent le parcours de vie d'un individu. Cette perspective suggère que les inégalités sociales et les structures sociétales jouent un rôle déterminant dans la détermination des réussites ou des échecs individuels, équivalant à une forme de déterminisme social.

Il peut arriver que, malgré tous les efforts d'un individu, des obstacles à la réussite surgissent, parce que les opportunités et les privilèges ne sont pas équitablement répartis dans la société, ce qui entraîne des disparités importantes entre les individus. En revanche, il est important de noter que le déterminisme social n'implique pas nécessairement que le destin d'une personne est complètement fixé et immuable, mais plutôt qu'il existe des influences structurelles qui façonnent significativement les trajectoires de vie.

Fort de cette compréhension, certains individus, conscients que leurs efforts individuels ne sont pas la clef de voûte pour accéder à la voie du succès, s'engagent dans des pratiques peu honorables et moralement douteuses pour se positionner sur la voie des opportunités.

En conclusion, la compréhension de la réussite et de l'échec requiert une approche nuancée qui transcende la simple évaluation de l'effort individuel. Alors que l'effort personnel demeure un élément prépondérant dans la réalisation de soi, il est impératif de prendre en compte la variété des éléments qui contribuent à ces concepts. Les inégalités sociales, les structures sociétales, les opportunités et les privilèges inégalement répartis peuvent fortement influencer les trajectoires de vie.

Les exemples présentés soulignent les défis liés aux décisions organisationnelles, aux préjugés et aux violations des principes, mettant en lumière l'importance d'une approche plus équitable dans l'évaluation du succès et de l'échec. Le déterminisme social, bien qu'il ne définisse pas de manière rigide le destin d'une personne, souligne l'impact des influences structurelles sur les parcours individuels.

Face à ces réalités, certains individus adoptent des stratégies créatives pour contourner les obstacles, soulignant la résilience humaine. Toutefois, cela souligne également la nécessité de remédier aux inégalités et de promouvoir des sociétés plus équitables.

En fin de compte, la discussion sur la réussite et l'échec devrait aller au-delà des jugements superficiels pour comprendre les histoires personnelles et les circonstances uniques qui façonnent chaque individu. Cela nous invite à œuvrer collectivement pour créer des environnements où chacun peut avoir accès de manière équitable à des opportunités lui permettant de réaliser son potentiel, transcendant ainsi les limites des inégalités sociales.

    

Jeff Valbrun







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