Dans une camionnette à Puits Blain

Crédit photo:LATITUDES World Decor
 

Pendant que le monde connait à nouveau une flambée de coronavirus, me voici animé d’une folle curiosité d’observer le comportement de mes compatriotes face à la maladie. En sociologue improvisé, bien décidé, je longe à pied les rues adjacentes de mon quartier pour rejoindre la gare des camionnettes de Puits Blain.  Après environ dix minutes de marche, j’atteins le terminus puis je monte à bord d’une camionnette. 

Assis, je commence à apprécier l’environnement dans lequel je me trouve. Tout fonctionne de façon normale comme s’il n’y avait pas de pandémie. A première vue, on constate un « on s’en moque » des consignes édictées par les autorités sanitaires à savoir : la distanciation sociale, le port du masque…Le coin de rue est bondé de personnes qui font des va-et-vient et d’autres qui prennent soin de leur quotidien en exposant des articles de toutes sortes sur le trottoir.

Une fois la camionnette remplie, le chauffeur recueille les paiements des passagers. Le sourire aux lèvres, il se dirige vers son siège et démarre la camionnette. Pendant que la camionnette  roule, tout à coup une conversation prend naissance à l’arrière. Les dialogues m’imprègnent et meublent le vide de ma pensée;  le sujet à l’ordre du jour est le phénomène du kidnapping et l’insécurité qui sévissent dans le pays. Sachant que ce sujet est d’actualité, je commence à écouter attentivement les interlocuteurs.

A tour de rôle et de manière disciplinée, les passagers expriment leur inquiétude, leur frustration et leur compréhension de la situation dans laquelle qu’on vit. La discussion commence avec un passager au milieu qui dit que le kidnapping et l’insécurité sont d’ordre politique, il poursuit : “Les acteurs politiques utilisent la théorie des jeux. Pour un groupe, la stratégie est de créer la peur afin d’éviter un soulèvement populaire et de conserver le pouvoir. L’autre groupe utilise aussi la même stratégie mais plutôt avec un objectif de soulever la conscience du peuple pour renverser le statu quo et gagner le pouvoir”.  

Puis un autre à l’arrière ajoute que  ce qu’on vit actuellement, résulte d’une crise de société, il continue: “La misère et le manque d’éducation pour tous sont les principales causes de cette dégénérescence. Si vous observez de nos jours, la famille n’est plus ce qu’elle était, ce qui a engendré l’absence des valeurs morales dans la société; l’église a failli à l’une de ses missions qui est le ministère de réconciliation au service du bien commun universel, pour adopter une position mercantile et opportuniste; l’état qui devrait travailler pour le bien-être collectif se voit plutôt dans l’intérêt individuel ou d’un clan, l’état pille l’état. Quelle société espérions-nous ? 

Aucun développement, une misère chronique ; l’instinct de survivre devient un réflexe.  Nous vivons dans une situation de “ Chacun pour soi, Dieu pour tous”, seules les valeurs économiques  comptent. Comment pensiez-vous que ceux et celles qui font de la richesse leurs valeurs;  ceux et celles qui ne peuvent plus supporter la misère; ceux et celles qui sont marginalisés, allaient survivre dans un pays où il y a quasiment rien ? Voler, tuer, piller, kidnapper deviennent pour certains la règle pour survivre”.

La camionnette fait une halte pour déposer un passager. En descendant, il lança : “Il nous faut une conscience collective pour sortir de cette spirale de misère greffée de criminalité et de discrimination”. Une voix s’exclame au fond de la camionnette : “En effet ! Mais comment ?”. Et la camionnette redémarre.

Interpellé par la question, je réfléchis un moment. Comment arriver à une conscience collective quand la plupart des haïtiens se noie dans le “sauve qui peut”. Comment parvenir à une éducation axée sur des valeurs morales, de développement durable et le respect d’autrui ? 

Ô Dieu ! D’où viendra cet élan positif qui transformera la réalité haïtienne ? 

Actuellement, le monde cherche à trouver des solutions, à administrer des vaccins pour inverser la courbe de la pandémie tandis que nous en Haïti, nous nous livrons volontairement dans des guerres sans fin entre haïtiens. Nous n’avons pas peur du coronavirus, mais plutôt du kidnapping, des politiciens et des gangs armés. Quel gâchis! 

Arrivé à destination, la camionnette ralentit pour stationner; la désolation pèse sur le visage des passagers. Une fois stationnée, tout le monde descend - probablement avec l’idée de  trouver une solution pour le pays…

Bah! Pour moi, l’espoir n’est pas à l’autre bout du tunnel avec cette mentalité car ce que nous  vivons est le résultat de nos pensées.

               

                                                                                                                                                                        Jeff Valbrun

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